Les sacs des jeunes

Ces sacs racontent les déchirements et les souffrances, les séparations et les déceptions, les départs et les retours, les échecs et les désarrois. Tant d’autres choses encore, aussi tristes les unes que les autres. 

Sur un quai de gare au beau milieu de nulle part,

Mon passé s’en est allé.

Une voiture qui s’en va ça ne se retourne pas.

Cruel adieu.

Un sac poubelle à la main,

Je suis monté dans un train.

La gorge serrée, j’ai regardé les paysages défiler.

Je suis jeune, je suis seul

Mais j’apprendrai

À cacher mes douleurs et mes peurs,

Sous des masques anonymes.

D’étiquette et étiquette,

Mon sac et moi, on s’en sortira.

Il s’agit des valises, des sacs ou des bagages des jeunes. Appelez-les comme vous voulez. Je préfère parler de sacs, car souvent les jeunes que nous rencontrons trimballent leurs affaires personnelles dans des sacs en plastique qui sont parfois même éventrés.

Les sacs des jeunes sont abimés. 

Les jeunes ressemblent à leurs sacs. Ils se confondent parfois.

Ils sont encombrants. 

Ils sont souvent ballotés de droite à gauche. 

Il arrive que quelques-uns se perdent dans les gares ou les placards. 

Il en est que l’on oublie chez l’ami ou la copine. 

Il en est que l’on confie à la tante ou aux centres.

En bout de course ils sont usés et défraichis. Beaucoup de choses se sont perdues, des souvenirs, des photos et des lettres au milieu de quelques objets rassemblés précipitamment. Des moments joyeux avec papa ou maman, oubliés derrière les radiateurs ou sous les meubles. Des jeunes vies en morceaux éparpillées au gré des centres, des homes, des armoires, des fourre-tout, des débarras, dans des sacs poubelles.

C’est toujours avec beaucoup d’émotions que nous ramassons ces images ou ces écrits oubliés par les jeunes partis hâtivement pour rejoindre un centre ou un lit. Leur angoisse de savoir où atterrir se mêle souvent à l’embarras de leurs sacs déchirés qui ne peuvent plus contenir leurs effets personnels. Que laisser, que prendre ? Le nécessaire ou l’indispensable pour ne pas se disperser d’avantage ? Tout comme leurs bagages, les jeunes n’arrivent pas à contenir leur mal-être.

D’incertitude en détresse, ils nous confient leurs affaires comme une attache ou un lien qui les rassure et leur permet de revenir. Ils confient leurs affaires à ceux pour qui ils comptent…un peu. Enfin, c’est ce qu’ils nous racontent…ou bien c’est ce que nous voulons entendre…

Dans les sacs des jeunes, il y a de tout, même des objets interdits comme pour braver la bonne morale, comme un défi dans un mouvement farfelu qui les pousse vers leur vie.

Certains autres jeunes sont privés de leurs affaires, car les parents ne veulent pas les leur remettre. Parfois ils doivent faire  appel à la police pour obtenir leurs biens. Mais est-ce bien, est-ce mal ? Que fait-on de la douleur des parents impuissants qui voient partir leurs enfants sans rien pouvoir faire pour les retenir … Certains gardent les effets de leurs enfants comme un ultime prétexte pour pouvoir encore communiquer… D’autres parents nous ramènent les sacs de leurs enfants en nous disant : voilà, il ne reste plus rien dans les armoires. Tout est là !

Certains jeunes passent de temps à autre pour prendre telle ou telle affaire de leurs sacs. Ils prennent souvent soin de laisser encore quelques effets, histoire de pouvoir encore passer nous donner de leurs nouvelles.

D’autres reviennent nous voir en ayant oublié qu’ils nous avaient un jour confié leur bagages. Ou bien tout cela est-il seulement feint ? Je n’en sais rien.

Ces jeunes sont peut-être déjà dans autre chose ? Dans un autre mouvement de la construction de leur vie ?

D’autres encore ne sont plus revenus.

Des jeunes SDF passent quotidiennement pour se changer après avoir passé la nuit dehors, ou dans un abri de fortune.

Ces sacs évoquent pour certains collègues les valises abandonnées par les juifs durant la déportation, celles des émigrés ou encore les sacs des SDF.

D’autres collègues sont écœurés de recevoir les jeunes et leurs sacs poubelles…ou de leur en proposer pour rassembler leurs affaires à leur départ.

D’autres encore comme moi, se questionnent sur la pertinence de doter dignement ces jeunes de moyens adéquats et décents pour prendre soin de ce qui constitue parfois le dernier lien avec leur histoire.